Une brève histoire de l’économie régénérative

Selon Aurélien Boutaud, qui consacre un article de la revue en ligne Millénaire 3 à l’histoire et à une présentation du concept d’économie régénérative, il s’agit là d’”un concept encore émergeant, dont la définition est loin d’être entérinée, et qui prête même à débat”. C’est la raison pour laquelle, après notre premier article sur ce sujet, il nous a paru intéressant de retracer brièvement l’histoire de ce concept avant d’aborder plus longuement sa définition et ses différents aspects dans de prochains articles. Cela nous permettra de citer des auteurs et des écrits clés sur cette thématique, auxquels vous pourrez ensuite vous référer pour creuser le sujet par vous-même ! 

Origine du concept

Le concept d’économie régénérative semble plonger ses racines dans plusieurs mouvements apparus dans les années 1970-1980, qui avaient pour objectif commun de vouloir créer une agriculture plus durable, en réaction à l’agriculture industrielle qui se développait alors :

Ces idées ont ensuite inspiré les promoteurs de l’économie circulaire. John T. Lyle a notamment collaboré avec l’architecte William McDonough, qui deviendra ensuite le co-auteur, avec le chimiste Michael Braungart, du livre Cradle to Cradle, publié en 2002 et qui fut précurseur dans la description de l’économie circulaire. Cette filiation est ensuite reprise en 2013 par la Fondation Ellen MacArthur dans son rapport Toward the Circular Economy, qui cite les mouvements indiqués plus haut.

Développements multiples

À partir de cette date, plusieurs auteurs aux profils variés transposent le concept à l’économie ou à la société toute entière : 

En France

En France, l’une des premières apparitions du concept d’économie régénérative semble dater de 2011, date à laquelle une filiale de la Caisse des Dépôts, Mairie Conseils, organise la « première rencontre des territoires en dynamique économique », qui donnera lieu à une synthèse publiée en juin 2012 et intitulée “Territoire en dynamique : vers une économie régénérative ?”.

En 2016, inspiré par la permaculture, Emmanuel Delannoy écrit Permaéconomie. Une filiation que reprendra Sylvain Breuzard dans son livre La permaentreprise, paru en 2021, mais qui part de son expérience de chef d’entreprise où il a mis en œuvre un mode de gestion inspiré de la permaculture.

En 2017, la consultante et agronome Isabelle Delannoy publie L’économie symbiotique : régénérer la planète, l’économie et la société, où elle développe une vision qui s’apparente en grande partie à l’économie régénérative.

Depuis quelques années, le concept est surtout promu et développé dans la sphère francophone par l’enseignant et chercheur Christophe Sempels, qui travaille à définir ce qu’est une entreprise régénérative ou “à visée régénérative”, et surtout : Comment une entreprise peut devenir régénérative ? L’auteur a créé pour cela un centre de recherche et de formation nommé Lumia. Début 2024, Lumia a publié une étude intitulée "L'entreprise à visée régénérative : fondamentaux et pionniers", qui fait le bilan de l’état de la recherche à ce sujet et un état de l’art du développement de ces entreprises.

Les travaux de Christophe Sempels ont influencé l’initiative de la Convention des Entreprises pour le Climat, créée en décembre 2020 avec comme raison d’être de “rendre irrésistible la bascule d’une économie extractive vers une économie régénérative d’ici 2030”. 

Citons aussi le consultant Navi Radjou, promoteur de l’innovation frugale, qui s’est inscrit lui aussi, dans plusieurs articles, dans la lignée des promoteurs de l’économie régénérative.

Enfin, on peut évoquer le projet pionnier Open Lande, qui se développe autour de cette thématique depuis 2018, à travers différentes initiatives : 

Vers l’institutionnalisation ?

Depuis peu, le concept semble s’institutionnaliser et se répandre de manière plus officielle : 


L’économie régénérative au risque du buzz et du greenwashing

Et les entreprises nous direz-vous ? Et bien, puisque ce concept les concerne au premier chef, il est désormais repris par nombre d’entre elles, que ce soit dans leur communication institutionnelle, commerciale ou réglementaire : LVMH, Dassault Systèmes, AXA, Décathlon, H&M et même Total Energies se revendiquent de pratiques régénératives ! Sur un plan sectoriel, le tourisme s’empare aussi de ce concept.

Face à cet emballement, des voix commencent à s’élever pour dénoncer tantôt le risque de greenwashing, tantôt celui de vider le concept de son sens (lire aussi cette prise de position plus ancienne), tantôt celui de réduire à néant les efforts déployés par tous ceux qui cherchent à développer à travers ce concept des pratiques réellement positives, tantôt tout cela à la fois.

Parmi les chercheurs évoqués tout au long de cet article, certains cherchent des solutions à cette situation. Pour Christophe Sempels : “Cela aiderait si les acteurs publics pouvaient donner un cadre, des labels, un référentiel de bonnes pratiques, voire une norme AFNOR pour cadrer l’usage du mot régénératif, ce qu’il intègre et ce qu’il n’intègre pas, et encadrer les pratiques en termes de communication“ (source). Cette approche normative pourrait justement s’appuyer sur des travaux de recherche qui visent à approfondir et documenter plus précisément les contours du concept.

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