qu’est-ce que l’économie régénérative ?

La mission d’Acovia est d’aider les entreprises, les organisations et les territoires à innover de manière responsable et à opérer leur transformation digitale au service de l’économie régénérative. Mais qu’est-ce que l’économie régénérative ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir dans cet article. Il s’agit d’une première introduction, car le sujet est vaste et justifie qu’on y consacre plusieurs articles. Ce que nous ferons !

Le concept d’économie régénérative est assez récent. Il est apparu au début du Siècle, et il se formalise progressivement, au fur et à mesure des travaux qui lui sont consacrés. Pour en savoir plus à ce sujet, nous vous proposerons prochainement un bref aperçu historique de la notion.

La volonté de créer une économie régénérative naît du constat que la manière dont les Hommes conduisent aujourd’hui leurs activités détruit les conditions de vie et d’habitabilité sur Terre. Ce constat est aujourd’hui avéré scientifiquement, que ce soit à travers la notion d’Anthropocène, proposée en 2000 par le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer, celle des limites planétaires, proposée en 2009 par le Stockholm Resilience Centre, ou encore à travers les travaux du GIEC concernant le climat, ou ceux de l’IPBES concernant la biodiversité, pour ne prendre que quelques exemples, les plus connus sans doute.

Face à ce constat, l’économie régénérative a pour ambition de faire en sorte que l’activité humaine se déploie en créant les conditions propices au développement de la vie sur Terre.

L’expression “économie régénérative” est intéressante parce qu’elle réunit justement les deux facettes de l’équation : d’un côté, l’économie représente l’activité humaine au sens large, qui fait figure ici d’accusée, et de l’autre, la régénération désigne la propriété du vivant (tissu ou organisme) de se reconstituer après une destruction ou une altération, ou plus généralement la capacité à produire de nouveau, par une nouvelle génération, à rétablir dans ses qualités originelles. Pour un sol, c’est la capacité à conserver ses qualités de fertilité. La régénération apparaît donc dans cette expression comme la solution possible à une certaine vision de l’économie. On notera aussi que le terme de régénération s’emploie également au sens figuré pour la société : on parle de régénérer la société.

L’économie régénérative est donc avant tout un souhait, une ambition, une vision, un objectif à atteindre : celui d’une activité humaine qui ne détruit pas les conditions de la vie sur Terre, mais au contraire les favorise, les produit. En cela, face aux difficultés actuelles à mobiliser autour de la nécessité de la transition écologique, ce concept a le potentiel d’un récit mobilisateur que certains appellent de leurs vœux pour remplacer l’absence de vision ou bien la vision trop souvent vécue comme négative, contraignante et angoissante de l’écologie, qualifiée par exemple d’“écologie punitive”. L’économie régénérative représente un chantier auquel s'atteler, un défi à relever, un avenir positif à construire, plutôt qu’une lutte contre quelque chose de nocif, mais qu’on ne sait pas par quoi remplacer.

Par ailleurs, l’économie régénérative n’oppose pas l’économie et la régénération, mais cherche à combiner ces deux dimensions, à les rendre compatibles.

Il faut noter ici qu’au-delà de cette ambition, le concept d’économie régénératif reste relativement ouvert sur ce qu’il désigne. Il ne représente pas une doctrine avec un catalogue de mesures. Il n’impose pas le chemin ou les moyens pour parvenir à destination, même si on entend beaucoup dire, ces derniers temps : “Les solutions existent, on les connaît, il suffit de les mettre en œuvre !” En réalité, ces moyens restent en grande partie à inventer, ou à expérimenter pour qu’ils fassent la preuve de leur efficacité. L’économie régénérative laisse donc la place à la co-construction de sa solution et à la coordination des efforts.

Plus qu’une doctrine, l’économie régénérative apparaît comme une source d’inspiration pour trouver les solutions et la manière de les mettre en œuvre. Puisque le problème est la destruction de la capacité du vivant à se générer ou se régénérer, elle nous dit donc que nous devons prêter plus attention à cette capacité, mieux la comprendre, étudier comment elle s’opère, pour agir en conséquence afin de la favoriser plutôt que la détruire. Nous devons donc agir selon les principes du vivant, dans le respect du vivant. Une telle posture est loin d’être évidente car la modernité s’est en grande partie construite sur une posture de détachement de la nature, de domination, de contrôle et finalement d’utilisation de cette dernière. Ce rapport à la nature repose sur une vision très anthropocentrée, plaçant l’homme au sommet d’une hiérarchie, en raison d’une posture de compréhension scientifique et mécaniste, cartésienne et newtonienne, du vivant et du non-vivant.

C’est la situation que désigne le schéma “Eco vs Ego” que l’architecte allemand Steffen Lehmann a proposé en 2010.

Selon lui, il est nécessaire de passer de la vision “égo” à la vision “éco”, au sens d’écosystème. L’homme n’est pas au sommet d’une pyramide mais un élément d’un écosystème. Il doit avoir une approche plus respectueuse, plus modeste, plus égalitaire, plus écosystémique, plus relationnelle de la nature, vivante ou non vivante, considérée dans sa dimension organique et non mécaniste. Il doit regarder les choses et agir selon une logique de symbiose, de réciprocité, de coévolution.

Ce déplacement de la vision questionne en retour notre rapport à la technologie. Doit-on opposer technologie et nature dans cette équation ? La technologie est-elle indéfectiblement liée à la dimension “Ego” plutôt qu’à la dimension “Eco” ? Peut-on réconcilier technologie et régénération ? Si oui, comment ? Nous y reviendrons dans de futurs articles. C’est un très vaste chantier !

Le fonctionnement écosystémique implique que nous prenions en considération la manière dont les éléments du système interagissent. Il implique aussi que nous prenions en considération plusieurs dimensions du système : l’environnement et le social notamment. Les scientifiques et les chercheurs ont élaboré plusieurs modèles pour nous aider en ce sens.

Le premier à considérer est celui des limites planétaires. Cette notion a été proposée en 2009 par une équipe internationale de scientifiques réunis par le Stockholm Resilience Centre autour de Johan Rockström. Ils ont identifié 9 processus environnementaux devant faire l’objet d’une attention particulière en raison de leur rôle dans la stabilité du système Terre dans l’Holocène. Pour chaque processus, ils ont identifié les limites à ne pas dépasser pour maintenir l’équilibre du système. Ces limites définissent “les frontières d’un espace de vie préservé pour l’humanité”.

Le résultat de ces mesures a été régulièrement mis à jour depuis la première publication en 2009 :

Les Limites Planétaires dans le temps. Crédit: Azote pour Stockholm Resilience Centre, basé sur l'analyse de Richardson et al 2023.

Le constat est alarmant et accablant : nous ne cessons de dépasser de nouvelles frontières. Fin 2023, six des neufs frontières ont été dépassées !

6 des 9 limites planétaires ont été dépassées © Stockholm Resilience Centre

Outre sa dimension dynamique, le concept de limites planétaires offre l’avantage de montrer que la question environnementale ne se limite pas à celle du climat, donc des GES, donc du carbone. Certes ce facteur est crucial, et sans doute prioritaire, mais il ne faut pas oublier les autres dimensions, sous peine de rater l’ambition finale, aveuglé par ce que Jan Konietzko a appelé la Carbon Tunnel Vision.

La carbon tunnel vision est un terme défini par le Dr Jan Konietzko, professeur en économie circulaire et durable et régénération à l'Université de Maastricht aux Pays-Bas.

Un second modèle permet de réunir la vision environnementale avec la vision sociale. C’est celui de la Théorie du Donut, élaborée par Kate Raworth. Le concept a été exposé pour la première fois en 2012 dans un rapport Oxfam intitulé Un espace sûr et juste pour l’humanité, puis repris dans son livre L’économie du Donut, paru en 2017.

Aux 9 limites planétaires, Kate Raworth ajoute un socle de besoins humains fondamentaux qui viennent compléter “l’espace de vie protégée et nécessaire pour l’humanité”.

La double circonférence du donut peut se lire et se mesurer en termes de limites dépassées.

Ces deux modèles trouvent aujourd’hui une traduction concrète et opérationnelle dans le dispositif réglementaire de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), instauré par la Commission européenne et entré en vigueur le 1er janvier 2024. Celui-ci propose un cadre à la fois réglementaire, mais aussi de réflexion et d’action, qui a pour objectif d’inciter les entreprises à se demander dans quelle mesure leur activité détruit ou recrée les conditions de vie sur Terre.

La CSRD repose sur deux activités principales, reliées l’une à l’autre. La première est l’analyse de double matérialité. La seconde est la mesure d’indicateurs clés, les ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Le tout se consolidant dans le cadre d’un reporting associé.

L’analyse de double matérialité implique d’étudier à la fois les impacts de l’environnement et de la société sur la situation financière de l’entreprise (matérialité financière) mais aussi dans l’autre sens, les impacts de l’activité de l’entreprise sur l’environnement et la société (matérialité d’impact).

La CSRD propose pour cela une série d’indicateurs clés, les ESRS, qui doivent être mesurés par les entreprises pour expliciter leur analyse de double matérialité et leur stratégie de transformation.

Les ESRS. Source : AMF

Le concept d’économie régénérative ne saurait bien évidemment se résumer à la mise en œuvre de la CSRD, loin de là. Cette dernière peut en revanche apparaître comme un bon point de départ, un point d’ancrage opérationnel pour se lancer sur la voie souvent ressentie comme floue de la transformation vers l’économie régénérative. À travers la dimension réglementaire qui s’impose aux entreprises, la CSRD offre effectivement l’opportunité de s’engager dans une démarche opérationnelle de transformation, qui implique d’adapter à la nouvelle vision et à un nouvel objectif toutes les dimensions concrètes de l’entreprise, depuis sa raison d’être, sa stratégie, ses offres, son ou ses business modèles, son modèle opérationnel, ses processus, son organisation, etc. Un vaste chantier sur lequel notre mission et notre ambition, au sein d’Acovia, est de vous accompagner.

À l’inverse, l’économie régénérative apporte à la CSRD une dimension projective, aspirationnelle, qui peut transformer la contrainte réglementaire en opportunité de transformation, en appui pour la stratégie.

Nous arrivons au terme de cette première découverte de l’économie régénérative. Nous aurons l’occasion d’approfondir cette approche dans de prochains articles.

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