Pour une éco-conception globale

Les travaux scientifiques qui étudient les bouleversements du système Terre et la crise sociale et écologique arrivent quasiment tous à la même conclusion : il y a urgence à agir si nous voulons inverser la tendance et recréer des conditions propices à la vie sur Terre. La mission d’Acovia consiste à aider les entreprises pour qu’elles agissent le plus efficacement possible face à cette urgence. Pour cela, nous prônons une approche d’éco-conception globale. Qu’est-ce que cela signifie ? C’est ce que nous allons expliquer dans cet article.

L’approche d’éco-conception globale consiste à appliquer une démarche d’éco-conception à tous les niveaux de l’activité de l’entreprise. Cette approche est résumée dans le schéma ci-dessous :

Les principes de l’éco-conception globale

Commençons tout d’abord par détailler les principes génériques de cette approche. Elle repose sur les principes suivants : 

  • C’est une conception globale au sens où elle s’applique à toutes les activités de l’entreprise ou de l’organisation. Elle se décline donc en éco-conception de produit, de services, de procédé, de processus, d’organisation, de la stratégie, etc.

  • Le préfixe “éco” (la “maison” en grec) doit ici être considéré en un sens global, c’est-à-dire qu’il fait référence non seulement à la dimension environnementale (la maison Terre) mais également sociale (la maison des humains). En réalité, l’éco-conception globale doit prendre en considération les 4 axes de la matrice d’impact d’Acovia. In fine, cette approche fait référence au concept de régénération au sens où chaque action de conception doit se faire dans un objectif de régénération, chaque décision doit être prise dans un objectif de régénération, avec le souci de la régénération, avec une visée régénérative.

  • C’est une approche de conception, de design, de fabrication qui s’appuie sur une évaluation la plus systématique et systémique possible des impacts des décisions et de l’activité.

  • Les tâches de conception et les tâches d’évaluation s’articulent entre elles selon une approche itérative de type “test and learn”, guidée par la visée régénérative. Cette approche itérative s’inspire des modèles agiles ou Lean Startup, qui peuvent se décrire selon le modèle  “Build > Measure / Test > Learn / Design”.

  • À la différence du Lean Startup, les indicateurs de mesure représentent toutes les dimensions de l’enjeu régénératif : impact business + impact opérationnel client + impact environnemental + impact social, selon l’approche de la matrice d’impact Acovia.

  • Selon les étapes, le besoin ou les contraintes, l’évaluation peut être ou bien chiffrée, documentée, scientifique, factuelle (pour du reporting par exemple) ou bien seulement estimative (pour un choix de conception fonctionnelle par exemple).

  • L’éco-conception globale peut intervenir dans une logique ou un contexte d’innovation, de transformation ou d’amélioration continue. Suivant les cas, l’éco-conception peut donc se rapprocher d’une démarche plus globale d’éco-innovation, d’éco-transformation ou d’éco-management.

  • L’éco-conception n’est pas forcément synonyme d’économie régénérative. Mais les entreprises qui cherchent à être régénératives ont tout intérêt à s’engager dans une démarche d’éco-conception globale. À l’inverse, celles qui s’engagent dans une démarche d’éco-conception globale sans pour autant avoir une visée régénérative se rapprocheront très certainement de cet objectif même s’il n’est pas explicitement formulé ou revendiqué. Lorsqu’il est revendiqué, on peut parler d’innovation régénérative, de transformation régénérative ou de management régénératif.

Passons maintenant en revue les différents niveaux de mise en œuvre de l’éco-conception tels qu’indiqués dans le schéma ci-dessus. Notons avant de commencer que ce schéma n’a pas vocation à être exhaustif sur la question. Il est illustratif de l’approche, mais chaque entreprise pourra définir les niveaux sur lesquels elle souhaite agir. Et il existe évidemment beaucoup d’autres niveaux que ceux indiqués dans le schéma.


L’éco-conception de la vision, de la mission ou de la raison d’être de l’entreprise

Définir la vision, la mission et la raison d’être d’une entreprise est crucial lorsque celle-ci souhaite sortir d’une vision “business-as-usual” et commencer à avoir un impact positif sur son écosystème. En 2019, la loi Pacte a introduit dans le droit français les notions de raison d’être et de société à mission. Pour une entreprise, inscrire sa raison d’être, sa vision et sa mission dans un objectif engagé sur la voie de la durabilité, de la responsabilité, de la contribution ou de la régénération est d’une certaine manière une démarche d’éco-conception. Il peut également être intéressant de se mettre dans une disposition d’éco-conception lorsque l’on définit et lorsque l’on rédige ces éléments, afin qu’ils prennent tout leur sens et toute leur force par rapport à l’ambition, à la stratégie et au positionnement de l’entreprise. Ce niveau est le niveau le plus stratégique auquel l’éco-conception puisse être appliquée.

L’éco-conception de Business Model

Il est possible pour une entreprise d’appliquer l’éco-conception à la définition des business models de son activité, de son offre ou de ses produits et services.

C’est même l’un des domaines les plus déterminants sur la capacité de l’entreprise à avoir un impact positif sur son écosystème, dans une visée qui peut être durable, responsable, contributive ou régénérative.

Cette conception peut être mise en œuvre dans un contexte d’innovation, c’est-à-dire lors de mise en œuvre d’une nouvelle activité, d’une nouvelle offre, d’un nouveau produit ou service. Elle peut aussi être mise en œuvre dans une logique de transformation, pour faire évoluer un business model existant.

Pour aider les entreprises en ce sens, plusieurs experts, consultants ou chercheurs ont proposé une évolution du fameux Business Model Canvas d’Alex Osterwalder et Yves Pigneur

On peut citer le Business Re-Model Canvas de KPMG Innovation Lab & Entreprise et Progrès. Ce canvas reste fidèle à celui d’Osterwalder et Pigneur. Il ne rajoute aucune case. Mais il invite à revisiter chaque case en y ajoutant une réflexion sur l’impact, comme indiqué dans le visuel ci-dessous.

On peut aussi citer le Circular Canvas, de l’agence Circulab. Ce modèle est dédié à la conception de business models de l’économie circulaire.

On trouve également un « Canva de l’entreprise écologique et résiliente » dans le Guide de redirection écologique des entreprises du CRESS Nouvelle-Aquitaine. Le guide est inspiré par la démarche de redirection écologique de Monnin, Landivar et Bonnet. Le canva est quant à lui inspiré de celui de l’agence Du vert dans les rouages.

Du côté des canvas, citons pour finir le Flourishing Business Model Canvas.

La question des business models ne saurait évidemment se réduire au renseignement d’un canvas ! Au-delà de cet outil très utile, il est important de s’engager dans une démarche sur le long terme, en s’inspirant par exemple de la diversité des business models existants et en rentrant dans une démarche d’expérimentation d’un nouveau business model pour votre offre ou votre activité.

Plusieurs démarches sont intéressantes à mentionner sur ce plan.

Citons par exemple le BCG, qui a publié plusieurs articles autour de sa démarche de Sustainable Business Model Innovation

On peut aussi se référer aux travaux de la chercheuse et enseignante Nancy Bocken. Elle publie de très nombreux articles et travaux de recherche. Si l’on revient du côté des canvas, elle a créé deux outils très intéressants : le Value Mapping Tool et un Sustainable Business model Canvas.

Dans l’univers francophone, Christophe Sempels, dont nous avons déjà parlé, est également un spécialiste des business models. Parmi ses travaux à ce sujet, on peut citer : 

Nous citerons enfin, pour terminer cette partie, cet article d’Ecoact sur l’éco-conception de business model avec une visée régénérative.

L’éco-conception des processus de production et de l’organisation de l’entreprise

Dans la présente liste des domaines d’application de l’éco-conception, celui des processus de production et de l’organisation est sans doute le plus inattendu. En réalité, on peut regrouper sous ce terme de très nombreuses approches. Ainsi, d’une certaine manière, l’économie circulaire aborde cette question lorsqu’elle cherche à circulariser l’utilisation des produits à l’intérieur de l’entreprise. La RSE aborde aussi ce point pour la partie organisation, sur le volet social, avec notamment la redéfinition du management et des modèles de fonctionnement de l’entreprise. Il existe également de nombreux travaux qui proposent ou étudient de nouvelles pistes d’organisation des entreprises. On peut citer notamment : l’entreprise libérée, la permaentreprise, l’entreprise agile, l’holacratie, etc.

L’éco-conception des services

Dans son livre Green Service Design, Florie Bugeaud-Raymond a développé une approche tout à fait spécifique d’éco-conception des services.

C’est une approche qui s’inspire du Design Thinking, du design de services et de l’éco-conception plus classique des produits matériels.

L’éco-conception de produits

L’éco-conception des produits matériels (objets ou machines), est le domaine d’origine et aussi le plus classique de l’éco-conception. Acovia n’est pas spécialisée dans ce domaine, mais nous pouvons citer les références suivantes : 

L’éco-conception numérique

Lorsque l’on parle d’éco-conception numérique, on pense le plus souvent à l’éco-conception des sites web, laquelle regroupe un ensemble de pratiques et de principes visant à réduire l’impact environnemental d’un site web, d’ailleurs souvent réduit à son empreinte carbone. Si cet axe est important, le véritable enjeu consiste en réalité à avoir une approche globale de tout le domaine du numérique, incluant le hardware, le software et leurs usages, et à raccrocher ce périmètre à la vision régénérative dans son ensemble, qui réunit le social et l’environnemental, et qui se fixe un objectif plus ambitieux que la simple réduction des impacts négatifs en recherchant la création d’impacts positifs net.

Dans cette perspective, les études montrent que l’impact environnemental du numérique est surtout lié à la fabrication du hardware. Il faut donc travailler principalement sur ce point. Cela passe par l’éco-conception des produits numériques (ordinateurs, smartphones, réseaux, data-centers…). Mais aussi par une réflexion sur leurs usages. Dans un contexte BtoC, il s’agit notamment d’influencer à la baisse la consommation que nous faisons des objets numériques, par exemple notre propension à renouveler fréquemment nos smartphones en achetant des modèles neufs de dernière génération dès leur sortie. Dans un contexte d’entreprise, cela passe par exemple par une politique d’achat responsable.

Du côté des logiciels, la problématique est tout autant sociale qu’environnementale. L’économie numérique s’appuie très souvent sur l’exploitation de ressorts psychologiques qui vont à l’encontre de la régénération des individus et de la société. On peut citer : les fake news, l’économie de l’attention, l’addiction aux réseaux sociaux, la cybersécurité, etc.

La dimension environnementale ressurgit avec des applications telles que la blockchain, l’IA et l’IA générative, le Big Data, les jumeaux numériques, etc.

Nous aurons l’occasion de revenir dans de prochains articles sur la question de l’éco-conception des produits et services numériques.

Cette approche globale est-elle pertinente ?

On pourrait facilement objecter à cette vision de l’éco-conception globale qu’elle est un abus de langage : chaque usage de l’éco-conception dont il est question ici semble assez éloigné des autres, aussi bien dans les domaines auxquels il s’applique que dans les compétences qu’il requiert. Certes, c’est en partie le cas. Mais l’intérêt de cette approche réside selon nous dans le fait qu’elle nous force à avoir une vue globale et non silotée de ces différents chantiers. Or, ce dont a besoin une entreprise qui opère sa transition responsable ou régénérative, c’est de cohérence d’ensemble dans sa démarche pour que celle-ci soit efficace. En abordant les choses avec cette vue globale, on donne plus d’impact à chaque niveau de mise en oeuvre de l’éco-conception et chacun comprend qu’il travaille dans le même objectif et le même sens que les éventuelles autres équipes qui travaillent sur les autres niveaux. De ce point de vue, l’étape stratégique d’éco-conception de la vision, de la mission ou de la raison d’être est cruciale car elle fixe un cap que tout le monde peut suivre ensuite.

L’autre intérêt de cette approche est de donner du sens au travail de conception, ce que l’on appelle aussi “design”. Au-delà de la vision classique du designer de produit ou du designer graphique, c’est ici à une vision élargie du design que cette approche fait référence. Elle regroupe design opérationnel et design stratégique. Elle contribue à développer ces compétences de design et cette “vision design” au sein des entreprises, à travers différents métiers.

Enfin, dernier argument en faveur de cette approche globale : elle va dans le sens de la fusion des domaines initialement distincts des produits matériels, des services et du numérique. C’est ce que l’on appelle les systèmes produit-service, dont parle Pierre Veltz dans ses ouvrages lorsqu’il dit : “La réalité est que les frontières entre le monde des services, celui des industries manufacturières et celui du numérique sont de plus en plus floues et poreuses. De nombreux services fonctionnent exactement comme des industries (...). La production matérielle, de son côté, mobilise d’innombrables services.” (Bifurcations, p. 47) Il est donc tout à fait pertinent de créer un continuum dans la conception des produits matériels, des services, du numérique, car ceux-ci sont de plus en plus intégrés les uns aux autres dans des offres uniques dont il faut également concevoir le business model, le mode de production ou le mode de distribution. Pour créer une innovation durable ou opérer la transformation durable de son activité, il faut donc aborder tous ces aspects de l’activité avec une même approche d’éco-conception. C’est une manière par ailleurs de palier au problème de l’éco-conception envisagée en un sens trop stricte, comme l’évoque cet article de Novethic.

Précédent
Précédent

quelques méthodes d’évaluation d’impact pour l’innovation durable

Suivant
Suivant

Comment concevoir une IA responsable ou régénérative ?